Etat d’urgence permanent: Mesures attentatoires aux libertés individuelles

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Monzer Monzer
PUBLIC RELATIONS AND COMMUNICATION OFFICER

Dans De l’esprit des lois en 1748, Montesquieu déclarait déjà – en prophète ? - : « Il n’y a point encore de liberté si la puissance de juger n’est pas séparée de la puissance législative et de l’exécutrice ».

L’esprit même de l’Etat d’urgence réside dans son caractère exceptionnel. Il fut instauré en 1955, durant la guerre d’Algérie, afin de confier des pouvoirs judiciaires de manière directe au ministère de l’Intérieur (assignations à résidence, perquisitions, contrôle d’identité, etc.).  Réactivé lors des attentats du 13 novembre 2015, il n’a cessé d’être prorogé et modifié depuis.

Le nouveau mandat présidentiel et la pression liée aux menaces de sécurité intérieure constituent autant de défis que le gouvernement doit affronter avec un projet de loi pour le moins choquant. Soumis ce mercredi 7 juin au Conseil de Défense[1], le texte du gouvernement Edouard Philippe veut « renforcer la lutte contre le terrorisme et la sécurité intérieure ». Il revient, entre autre, à fondre les mesures de l’Etat d’urgence dans le droit commun, c’est-à-dire, comme l’explique un article du Monde[2], à « transposer la plupart des dispositions de l’Etat d’urgence dans le droit ordinaire ». Certaines mesures phares de l’Etat d’urgence comme les assignations à résidence ou les perquisitions deviendront alors des mesures tout à fait ordinaires, applicables par les autorités administratives. Ce texte a été transmis au Conseil d’Etat et devra être présenté devant le Conseil des ministres le 21 Juin.

Le régime qui se voulait « d’exception » et que le Conseil d’Etat fustige dans ses sempiternelles prolongations depuis Février 2016, deviendrait alors la norme.

Souvenons-nous que l’Etat d’urgence pensé dès 1955 devait être mis en place selon l’article 1er en cas de « péril imminent résultants d’atteintes graves à l’ordre public » ; mais réemployé en 2015, avec des prorogations successives, il n’a pas permis de mettre un terme aux attaques terroristes.

Le Brussels International Center for Research and Human Rights s’alarme d’une telle situation pour la France et plus généralement pour les atteintes aux droits de l’Homme et leurs dérives. L’adoption de mesures exceptionnelles en « Etat d’urgence permanent » entraîne un aspect attentatoire aux libertés individuelles. Par exemple, c’est le cas des assignations à résidence : peu efficaces pour la plupart, elles ont des effets négatifs sur les familles puisqu’elles ne débouchent bien souvent sur aucune enquête. Pour nous : une telle mesure marquerait la fin de la séparation des pouvoirs, principe matricielle et séculaire de la démocratie en France, et mettrait le pays à la marge de la Convention européenne des droits de l’Homme. Tout l’enjeu, et le BIC en est tout à fait conscient, est de répondre de manière pragmatique aux menaces terroristes tout en garantissant – sans aucun écart – les libertés fondamentales et individuelles des citoyens.

RECOMMANDATIONS

  • Le BIC, s’alarmant de la minoration du pouvoir judiciaire (plus précisément de l’instance judiciaire garante des libertés individuelles), recommande de maintenir le principe fondamental de séparation stricte des pouvoirs en France
  • Le BIC recommande de circonscrire davantage l’action du juge administratif, aux acteurs compétents, suivant le principe juridique « la compétence suit le fond »
  • Dans le cas d’une validation de ces mesures par le Conseil d’Etat, sans modifications satisfaisantes d’ici le 21, le BIC invite fortement à démarrer une QPC (Question Prioritaire de Constitutionnalité) devant la Cour Européenne des Droits de l’Homme afin de faire respecter l’Etat de droit et les principes défendus par la Cour