Tunisie : de la Révolution de 2011 à la Chute de la IIème République

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Yasmine Akrimi
NORTH AFRICA ANALYST

Abdessalam Saad Jaldi, International Relations Specialist at the Policy Center for the New South

Yasmine Akrimi, North Africa Analyst

 

 

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INTRODUCTION


La crise de la transition démocratique tunisienne ne date pas des scrutins, législatif et présidentiel, de 2019, bien que l’élection d’un outsider ait constitué un séisme politique. Le scrutin de 2019 a également sonné le glas du consensus tunisien entre progressistes et islamistes, et l’option du dialogue national choisie en 2014, couronnée par un prix Nobel de la paix par la communauté internationale, n’a pas réussi à instaurer une stabilité politique ni à se traduire en solutions socioéconomiques pour les Tunisiens dont le niveau de vie n’a cessé de se dégrader depuis 2011.


Le 25 juillet 2021, au milieu d’une crise économique, sanitaire et politique, sans précédent, le président en exercice Kais Saied entreprend un coup de force et suspend la Constitution, le parlement et le gouvernement en déclarant l’état d’exception pour « danger imminent » dans une interprétation personnelle de l’article 80 de la Constitution. Le président s’accapare les pleins pouvoirs avec la publication du décret n° 2021-117 le 22 septembre de la même année et gouverne désormais par décrets. Dans la foulée, il annonce un calendrier électoral composé d’une consultation nationale en ligne du 15 janvier au 20 mars, d’un référendum constitutionnel, le 25 juillet, et d’élections législatives, le 17 décembre 2022. À noter que l’organisation d’un référendum constitutionnel a été décidée avant que les résultats de la consultation nationale, dont le taux de participation a été faible, soient connus et bien que la majorité des participants aient exprimé le souhait d’un amendement constitutionnel, et non d’une nouvelle constitution.

 

Dans ce qui suit, nous analyserons dans un premier temps les fondements de la crise de la IIème République, notamment les manquements de la transition démocratique post-2011 et l’omission du chantier des réformes économiques pour ensuite étudier le coup de force du 25 juillet 2021 entrepris par le président Kais Saied, en particulier sa vision légaliste de la politique, et les contours de la constitution de la IIIème République qui a fait l’objet d’un vote référendaire le 25 juillet 2022.


I. LES FONDEMENTS DE LA CRISE DE LA 11EME RÉPUBLIQUE TUNISIENNE


La crise de la IIème République qui secoue le pays du jasmin depuis le double scrutin présidentiel et législatif de l’automne 2019, trouve ses origines, d’une part, dans les limites de l’ordre démocratique établi dans le sillage de la révolution de 2011 et, d’autre part, dans l’échec de la révolution à traduire la démocratique en progrès social.


1. Les limites de l’ordre démocratique issu de la révolution de 2011

 

Les racines de la crise démocratique qui secoue le Tunisie depuis la proclamation de l’état d’exception le 25 juillet 2021, sont principalement conséquentes aux défaillances de l’architecture institutionnelle de la IIème République. Conçue dans la perspective de rompre avec la tradition présidentialiste et clientéliste de la Ière République, la IIème République a échoué à dégager les réformes nécessaires pour transformer le pays, en réponse aux causes de la révolution de 2011 qui a entrainé la chute de l’ancien régime bénalien. Ce constat nous amène à explorer les grandes lignes de la transition démocratique tunisienne, depuis la fuite de Ben Ali la nuit du 13/14 janvier 2011, jusqu’au coup de force présidentiel du 25 juillet 2021 qui a fait basculer la Tunisie d’une démocratie en crise à un régime d’exception.

 

1.1 La Période Transitoire : 2011-2014


La période transitoire qui s’est ouverte au lendemain de la chute de l’ancien régime de Ben Ali a été caractérisée par l’omnipotence des débats relatifs au futur régime politique tunisien, en vue de traduire les doléances populaires formulées durant le soulèvement de fin 2010/début 2011. La tenue, le 23 octobre 2011, des premières élections législatives libres de l’histoire de la Tunisie contemporaine, a représenté un moment phare dans le cadre de ce processus. Elles engendrèrent la victoire des islamo-conservateurs d’Ennahda qui raflèrent 89 sièges des 217 de l’Assemblée nationale constituante (ANC), soit quasiment trois fois plus de députés que les gauchistes du Congrès pour la République (CPR), arrivés en deuxième position, avec 29 sièges, et Ettakatol qui a obtenu 20 sièges. Or, le mode électoral tunisien du « proportionnel au plus fort reste », empêchant l’obtention de majorité absolue en vue de promouvoir le pluralisme politique au Parlement, ne permettait pas à la confrérie de Rached Ghannouchi d’atteindre la barre fatidique de 109 sièges constitutifs du gouvernement. Afin de désamorcer la crise politique qui se projetait, un accord de gouvernement, connu sous le nom de « la troïka » a été trouvé entre les conservateurs d’Ennahda et les séculiers du Congrès pour la République et Ettakatol. En vertu de ce contrat politique, la présidence a été attribuée au Congrès pour la République, le gouvernement à Ennahdha, et le Parlement à Ettakatol.


Le contrat de gouvernement conclu entre les trois protagonistes ambitionnait de reconfigurer l’ordre politique postrévolutionnaire, au-delà du clivage entre islamistes et sécularistes, notamment de la part d’Ennahda qui, au cours de cette primature, évitait régulièrement de prendre une position claire sur les questions les plus polarisantes, telles que la politique à mener à l’égard des salafistes radicaux, la lutte contre les inégalités sociales ou la justice transitionnelle, bien que cette dernière disposait d’une majorité solide à l’ANC et d’une base solide et influente dans la société. En contrepartie, l’essentiel de l’opposition politique au gouvernement de la troïka a été articulé autour du Front populaire, composé de l’extrême gauche et des pan-arabistes. A partir de juin 2012, Béji Caïd Essebsi, à plusieurs reprises ministre sous Habib Bourguiba, et premier ministre durant la première phase de transition (mars-décembre 2011), a mis en place la formation centriste libérale de Nidaa Tounes en vue d’endiguer l’hégémonie d’Ennahda, aussi bien sur le plan idéologique qu’en matière d’orientation réformiste.


L’ANC, qui a siégé d’octobre 2011 à janvier 2014, a été mandaté de doter la Tunisie d’une nouvelle charte fondamentale, soit la deuxième après la première Constitution de 1959 adoptée trois ans après l’indépendance du pays en 1956. Elle fut un outil remarquable de renouvellement du personnel politique, d’apprentissage du métier de député et, surtout, de rencontre et de délibération collective, comme le symbolisent les débats sur l’adoption de la nouvelle Constitution entre les conservateurs, partisans d’un régime parlementaire inspiré du modèle turc, et les sécularistes, qui prônaient un régime présidentiel où le chef de l’État serait soumis au contrôle du Parlement. Néanmoins, le prolongement répété du mandat de l’Assemblée qui devait achever la rédaction de la nouvelle Constitution de 2012, de surcroît aggravé par l’assassinat des leaders gauchistes Chokri Belaïd, en février 2013, et celui de Mohamed Brahmi, en juillet de la même année, ainsi que par la prolifération de la menace djihadiste, ont accentué la crise politique. Celle-ci allait prendre fin avec l’adoption par l’ANC dans la nuit du 26 janvier 2014 avec une majorité de 200 voix contre 12, après des débats houleux aussi bien au sein de l’assemblée qu’au niveau de la rue, d’une Constitution correspondant aux normes démocratiques en vigueur. Cette dernière mit fin à l’ancien régime, et définit les principes de la IIème République tunisienne.

 

La Constitution de 2014 est le fruit d’une entente entre les deux blocs, conservateur et séculariste, qui ont dominé l’ANC, en adoptant le parlementarisme moniste comme paradigme dominant du nouvel ordre politique tunisien. Dans le cadre de cette nouvelle architecture constitutionnelle, le pouvoir a été dispersé entre trois entités distinctes : l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) au Bardo, dépositaire du pouvoir ; la présidence, à Carthage, dont le chef de l’Etat est élu au suffrage universel direct, mais dont les prérogatives ont été limitées aux sphères de la défense, la sûreté et les affaires étrangères et, enfin, le gouvernement, à Kasbah, qui dispose de l’essentiel du pouvoir, et dont le Chef du gouvernement est élu au suffrage universel indirect. Les libertés individuelles et les droits fondamentaux opéraient une synthèse parfaite avec la terminologie juridique des droits de l’homme, telle que définie dans les textes internationaux des droits de l’homme, à savoir les droits de la première génération (les droits civils et politiques), les droits de la deuxième génération (les droits économiques, socio-culturels), les droits de la troisième génération (les droits de la solidarité), et les droits de la quatrième génération (les droits numériques). Enfin, et pour éviter toute dérive absolutiste, la Constitution a prévu la mise en place de six institutions de contre-pouvoirs : la Cour constitutionnelle, l’instance de la communication audiovisuelle, l’instance des droits de l’homme, l’instance du développement durable et des droits des futures générations, l’instance de la bonne gouvernance et de la lutte contre la corruption, ainsi que l’instance supérieure indépendante pour les élections. Avec l’adoption de la Constitution de 2014, s’achève la période transitoire, et débute l’expérience démocratique tunisienne.


1.2 2014-2019 : l’expérimentation de la démocratie


L’expérience du pluralisme politique, qui débouche sur l’adoption de la Constitution de 2014, allait se prolonger lors du double scrutin de novembre/décembre de cette même année, lorsque les deux principales forces politiques ayant émergé des élections, en l’occurrence les libéraux de Nidaa Tounes, avec 86 sièges, et Ennahda, avec ses 69 sièges, ont scellé l’accord de Paris dans la perspective de stabiliser la vie politique, tout en parachevant la transition démocratique. Totalisant plus de 70 % des sièges, le couple Nidaa Tounes/Ennahda disposait d’une majorité stable, en vue de mettre en place les instances de contre-pouvoirs institutionnelles prévues par la Constitution de 2014, tout en élaborant un nouveau modèle de développement propre aux besoins de la nouvelle Tunisie. Le chantier de la transition démocratique allait connaitre une effervescence à tous égards considérable à cette époque-ci, à l’exemple de l’adoption en 2017 d’une loi progressiste sur les violences faites aux femmes, ou encore l’approbation en 2018 d’une loi contre les discriminations raciales permettant aux victimes du racisme de demander réparation pour des violences verbales ou des actes physiques de racisme. Et afin de renforcer la démocratie locale, la Tunisie a adopté un modèle libéral de la décentralisation qui allait connaitre quatre étapes fondamentales : tout d’abord l’adoption de la nouvelle Constitution en 2014 consacrant 13 articles relatifs à la consolidation de la décentralisation ; ensuite, l’extension en 2016 des communes à l’ensemble du pays ; l’élaboration en 2017 du code des collectivités locales et, enfin, l’adoption en 2018 de la loi sur la décentralisation, suivie de la tenue du premier scrutin local dans l’histoire du pays. En contrepartie, et à l’exception de la mise en place de l’Instance supérieure indépendante pour les élections, les instances constitutionnelles de contre-pouvoirs institutionnels censés endiguer toute dérive absolutiste n’ont guère vu le jour, tandis que la transition économique, talon d’Achille de l’ordre démocratique issu de la révolution de 2011, tardait à émerger.


Or, là où l’entente Nidaa Tounes / Ennahda semblait avoir failli c’est dans son incapacité à transformer la réalité du pays. En effet, et dans un tel dispositif, conforme aux bonnes pratiques de la démocratie libérale, le pouvoir est un agencement d’institutions qui produit une capacité à formuler l’intérêt général. Cependant, l’approche du consensus qui a façonné le paysage politique tunisien tout au long de la période allant de 2014 à 2019 semblait n’avoir délivré aucune réforme décisive, en mesure de répondre aux causes socio-économiques de la révolution de 2011. Au contraire, elle a été caractérisée par la persistance de tensions et de manoeuvres où chacun des partenaires cherchait d’abord à maximiser ses bénéfices, au lieu de transcender les intérêts dans un projet de transformation du pays. C’est ce que Avishai Margalit définit comme un « compromis pourri », ayant pour effet non seulement de déstabiliser les valeurs et principes du protagoniste ainsi contraint, mais aussi en évaporant toute compétition idéologique. Pour Nadia Marzouki, c’est bien ce type de configuration qui caractérise la relation entre Ennahda et Nidaâ Tounes depuis l’automne 2014. L’accord de Carthage II où le défunt Président Caid Beji Essebssi a imposé le choix de Youssef Chahed comme nouveau Chef du gouvernement, après que le gouvernement de Habib Essid ait perdu le 30 juillet 2016 la confiance du Parlement, suite à l’adoption de la motion de censure à son encontre ; ou encore les tiraillements relatifs à la nomination des juges de la Cour constitutionnelle, entre une préférence conservatrice souhaitée par les islamo-conservateurs d’Ennahda, et une orientation libérale, prônée par les libéraux de Nidâa Tounes, illustrent le caractère néfaste du compromis pourri comme forme de manoeuvre politique.


Généralement, la discipline des Sciences politiques distingue en matière de transition démocratique entre deux formes de consensus : l’une, noble, par des choix transcendant les intérêts des partis, l’autre, mercantile, par des tractations où chacun cherche avant tout à maximiser ses gains. La première peut produire des transformations politiques qualitatives, alors que la seconde a tendance à maintenir le système en place, tout en y intégrant de nouveaux acteurs. Or, force est de constater que le caractère pacté du consensus tunisien, fondé sur des transactions entre anciennes et nouvelles élites, a privilégié la seconde forme de consensus, neutralisant la capacité de ce dernier à délivrer des grandes réformes qualitatives en mesure de transformer le pays. Michael Ayari a affirmé dans un rapport d’International Crisis Group remontant à mars 2020 que : « si la coalition constituée en 2014 avait réduit la polarisation entre islamistes et anti-islamistes, elle n’a en revanche pas réussi à relever les défis socio-économiques et institutionnels de la transition ». L’impression qui se dégage est que l’échec du consensus à résoudre les problèmes structurels du pays a provoqué la décrédibilisation de la classe politique postrévolutionnaire, alors que la décomposition du système partisan hérité de l’ancien régime n’a pas donné naissance à des formations porteuses des intérêts de la majorité de la population. La faiblesse de la représentativité des partis, amplifiée par l’aggravation de la crise socio-économique, allait contribuer progressivement à la création des conditions d’une crise politique qui a éclaté durant le scrutin local de 2018, pour ensuite atteindre son paroxysme durant le double scrutin électoral présidentiel et législatif de l’automne 2019.


1.3 2019-2021 : la crise de la démocratie tunisienne


L’échec de l’establishment politique postrévolutionnaire à résoudre les crises socio-économiques de la révolution de 2011, de surcroît aggravées par le caractère mercantile du consensus politique, a précipité l’érosion de la classe politique traditionnelle dans le sillage des élections de 2019. Ces dernières ont entraîné une recomposition d’une ampleur inédite dans l’échiquier politique tunisien, comme l’illustre l’effondrement des principales formations politiques qui ont accompagné la mise en place de l’ordre démocratique dans le pays. D’une part, Ennahda, qui a perdu beaucoup de son aura politique a vu son capital électoral s’évaporer progressivement, en passant de 86 sièges en 2011 à 69 en 2014, puis à 52 en 2019. D’autre part, Nidâa Tounes, anciennement premier parti du pays, et avec seulement 2 sièges, a quasiment disparu du paysage politique, tandis que les deux principales formations héritières de la famille Nidâa Tounes, en l’occurrence Qalb Tounes, de Nabil Karoui (38 sièges), et Tahya Tounes, de l’ancien Chef de gouvernement, Youssef Chahed (11 sièges), peinaient à peser dans le débat politique ou à se faire entendre au sein de l’hémicycle. Cette configuration a poussé le parti de Nbail Karoui à nouer une alliance opportuniste avec la formation de Rached Ghannouchi qui partage les caractéristiques inhérentes du compromis Ennahda/Nidâa Tounes, alors que les deux formations avaient mené une campagne électorale délétère. En contrepartie, le double scrutin électoral de 2019 a permis l’émergence de trois nouvelles forces politiques ; tout d’abord, Kais Said, élu nouveau Président de la République à 72 % des suffrages, sur la base d’un programme politique oscillant entre un conservatisme sociétal et une révolution institutionnelle du pouvoir, dans le sens d’une décentralisation dudit pouvoir au profit des conseils locaux. Ensuite, le Parti constitutionnel libre (PCL), nostalgique de l’ancien régime bénalien et situé à l’extrême droite de l’échiquier politique, qui rejette en bloc l’ordre démocratique issu de la révolution de 2011 et, enfin, la coalition conservatrice d’Al Karama proche du crédo idéologique d’Ennahda, qui contestait les compromis conclus entre les conservateurs et les modernistes sur les sujets sociétaux, notamment ceux relatifs à la question de la femme.


La recomposition politique de 2019 a engendré l’avènement d’un Parlement idéologiquement fragmenté et politiquement ingouvernable, qui a perduré jusqu’au coup de force présidentiel du 25 juillet 2021. En effet, depuis la tenue des législatives, le 6 octobre 2019, jusqu’à la proclamation du régime d’exception, durant l’été 2021, trois gouvernements se sont succédés à Kasbah (siège du gouvernement), à savoir celui de Youssef Chahed qui a dû expédier les affaires gouvernementales courantes jusqu’au 27 février 2020, suite à l’échec du candidat d’Ennahda, Habib Jemli, à obtenir la confiance du Parlement pour former le gouvernement le 10 janvier 2020 ; ensuite, le gouvernement d’Ilyas Fakhfakh, proche de la Présidence, mais obligé à démissionner le 25 juillet 2020 alors que le Parlement, poussé par l’alliance Ennahda/Qalb Tounes/Coalition Al Karama, s’apprêtait à le dissoudre par le dépôt d’une motion de censure pour des soupçons de conflit d’intérêts entachant son Chef de gouvernement; après, le gouvernement d’Hichem Mechichi (2 septembre 2020-25 juillet 2021) et, enfin, un projet de remaniement ministériel présenté en janvier 2021 par le Chef du gouvernement Hichem Mechichi et approuvé par le Parlement, mais que le Président de la République a refusé de cautionner. L’instabilité politique, dont la vie parlementaire a offert un spectacle indigne d’une démocratie, a exacerbé une guerre de leadership politique qui s’est progressivement transformée en un véritable conflit de pouvoir agitant le sommet de l’Etat, opposant la Présidence à Carthage, la nouvelle troïka d’Ennahda, Qalb tounes et Ihtilaf Karama qui avait la maîtrise du travail parlementaire au Parlement à Bardo, et le gouvernement à Kasbah, dont le Chef, Hichem Mechichi, mesurait qu’il ne devait son maintien et celui de son cabinet qu’au bon vouloir du Parlement. La presse tunisienne a surnommé cette guerre d’usure politique de bataille des trois Présidents, en référence à la Constitution de 2014 qui dans un souci d’équilibre des pouvoirs a tempéré le caractère parlementaire du régime en installant une quasi-égalité en dignité entre les trois fonctions qualifiées du même terme : président de la République, président de l’Assemblée des représentants du Peuple (ARP), président du gouvernement ; en l’occurrence : Kais Saied, Rached Ghannouchi, et Hichem Mechichi.

 

La bataille des trois Présidents a contribué à l’affaiblissement de la légitimité parlementaire, incapable d’élever l’Etat au-dessus des intérêts partisans et des trafics d’influence, tout en le plaçant hors de portée des instrumentalisations partisanes, au bénéfice de la légitimité présidentielle. L’aggravation de la situation socio-économique et sanitaire a accentué la défiance citoyenne envers le Parlement, ingouvernable et incapable de prendre en compte les demandes de la majorité populaire orpheline de représentation. En contrepartie, le Président à Carthage a usé à travers son image de probité, du large soutien populaire dont il bénéficiait auprès des masses populaires pour s’opposer à la classe politique par des pratiques césaristes, où le chef fonde la légitimité de ses mesures directement du peuple et contre l'élite, comme le symbolisent les scènes de liesse populaires qui ont suivi la proclamation des mesures présidentielles exceptionnelles par Kais Said la nuit du 25 juillet 2021. Dans le même ordre d’idées, il parait que le Président de la République ait notamment usé d’une manière césariste de son pouvoir d’interprétation de la Constitution en vue d’accroître ses prérogatives, tout en affaiblissant les institutions de représentation démocratique de la IIème République. C’est ainsi qu’il a imposé durant l’été 2020 Hichem Mechichi comme Chef de gouvernement, afin de placer un fidèle à la Kasbah, et d’en faire une sorte de Premier ministre, avant que ce dernier n’ait pris fait et cause pour sa majorité parlementaire, au détriment de la Présidence ; refusé en janvier 2021 de valider le remaniement ministériel qui ambitionnait d’accroître l’autonomie du gouvernement par rapport à la Présidence, en évinçant les ministres proches de Carthage ; s’est autoproclamé sur la base d’une interprétation unilatérale de l’article 77 de la Constitution, comme commandant suprême de toutes les forces armées militaires et civiles ; et refusé de promulguer l’amendement de loi adopté par le Parlement sur la révision à la baisse de la majorité requise pour élire les juges de la Cour constitutionnelle, clé de voûte de l’ordre juridicoinstitutionnel tunisien, en invoquant l’article 148 de Constitution qui dispose que la Cour devait être instituée au plus tard un an après les élections législatives d’octobre 2014, bien que cette dernière n’octroie pas au Président de la République un droit de véto sur le sujet.


2. L’omission du chantier de la transition économique


La faillite du chantier de la transition économique est conséquente de l’échec de la classe politique postrévolutionnaire à remédier aux défaillances économiques structurelles qui caractérisent le modèle de développement tunisien. Les principaux slogans et revendications véhiculés depuis 2011 étaient focalisés sur les considérations économiques et sociales, exacerbant l’importance d’une économie politique de la révolution en vue de répondre aux causes socio-économiques derrière le déclenchement de cette dernière. Ce constat supposait l’élaboration d’une stratégie économique efficace, en mesure de remédier aux faiblesses structurelles d’un modèle de développement à bout de souffle, perçu principalement dans l’accroissement des disparités territoriales, et la persistance de l’économie de rente. Or, force est de constater que les autorités politiques postrévolutionnaires ont particulièrement privilégié le chantier de la transition démocratique au détriment de la transition économique, ce qui a laissé pendante la question sociale. L’impression qui se dégage est que l’échec de la révolution à traduire la démocratie en progrès social, a fini par accroître la défiance citoyenne envers les institutions de représentation démocratique de la IIème République, précipitant le coup de force présidentiel du 25 juillet 2021.


2.1 Les disparités territoriales entre le littoral et l’intérieur


Les disparités territoriales entre, d’une part, la Tunisie du littoral qui concentre la quasi-totalité des moyennes et grandes entreprises ainsi que les centres du pouvoir économique, comme les banques, les assurances ou les sièges sociaux des entreprises et, d’autre part, la Tunisie de l’intérieur qui dépend de l’économie parallèle générée du commerce informel avec l’Algérie et la Libye, constituent depuis l’indépendance du pays en 1956 le talon d’Achille du modèle de développement tunisien. Ces disparités nuisent leurs fondements dans le caractère extraverti de l’économie tunisienne, qui assigne aux régions de la Tunisie de l’intérieur la vocation de fournir en ressources le littoral industriel. Dans une telle configuration, les ressources naturelles et humaines de la « Tunisie de l’intérieur » sont extraites et transportées vers le littoral, sans pour autant produire de valeur ajoutée, obligeant les régions de l’intérieur à se spécialiser dans des activités peu lucratives, notamment la contrebande transfrontalière. Une situation que Salhi Sghaier, auteur d’un ouvrage sur le sujet, n’hésitait pas à qualifier de colonisation intérieure, caractérisée par le transfert de la richesse de la campagne vers la ville qui accélère la prolétarisation de la paysannerie, incapable de progresser et d’accroître la production vivrière. Ali Bennasr affirmait à ce sujet qu’« il ne s’agit plus de régions favorisées et d’autres défavorisées, mais un pays réduit à sa seule capitale qui concentre tous les efforts d’équipements et d’infrastructures. Le reste du territoire n’a plus d’autres vocations que d’épauler Tunis dans le but d’espérer une place sur l’échiquier de la mondialisation ».


Le caractère extraverti de l’économie tunisienne, qui a engendré la magnétisation de toute la structure économique au profit des régions du littoral par les besoins du marché extérieur, a provoqué la subdivision de la Tunisie en trois régions territorialement et économiquement distinctes : tout d’abord, la Tunisie métropolitaine centrale (Tunis, Sfax, Sousse et Monastir), à haut niveau d’éducation et concentrant 87 % des activités industrielles ainsi que plus de 90 % des activités touristiques, sachant que l’agglomération de Tunis comptait environ ¼ de la population totale du pays. Ensuite, la Tunisie périphérique du littoral et du sud à développement concentré sur le tourisme et l’industrie, englobant Gabès (l’industrie), Djerba (tourisme) et d’autres zones plus vulnérables face au chômage et aux reconversions. Enfin, la Tunisie périphérique rurale de l’intérieur, située à l’écart des lieux de création de richesses et des bassins d’emploi, qui comprend la zone intérieure nord (Jendouba, El Kef, Siliana et Zaghouan), et la zone intérieure sud (Kasserine, Kairouan, Sidi Bouzid). Ce n’était donc pas une surprise que les divers mouvements de contestation sociale qui fleurirent en Tunisie depuis la tenue de la première université d’été des mouvements sociaux à Korba, en novembre 2016, réclamèrent une meilleure redistribution des revenus tirés de l’exploitation des ressources naturelles. A titre d’exemple, le célèbre mouvement de contestation sociale de Tataouine qui pendant trois ans procédait au blocage de la station de pompage de pétrole d’El Kamour, revendiquant non seulement l’accès à l’emploi, mais parallèlement une récupération de 20 % des revenus du pétrole pour en faire bénéficier cette région reculée du sud tunisien.


2.2 Le caractère rentier de l’économie tunisienne


L’économie de rente fait référence, dans le contexte tunisien, à la collusion entre le pouvoir politique et les milieux d’affaires qui contrôlent l’activité économique au détriment du progrès social. Ses fondements remontent à l’ancien régime bénalien, dont le contrat politique reposait sur une forme de gentlemen’s agreement entre le pouvoir et une oligarchie économique qui disposait des leviers de l’économie du pays. Dans le cadre de ce dispositif, cette caste économique, qui constituait le haut de la hiérarchie de l’élite économique durant l’ancien régime, s’est adjugée la protection de l’Etat, en contrepartie de son allégeance au sérail présidentiel. Ben Romdhane n’hésitait pas à qualifier l’élite économique de l’ancien régime de : « bourgeoisie d’affaires insérée qui s’est développée avec une extrême rapidité du fait de son insertion dans les différents circuits formels et informels, de sa proximité des centres du pouvoir et de l’utilisation néo-patrimoniale d’institutions publiques ainsi que de la prise de contrôle partielle ou totale d’actifs octroyés de manière discrétionnaire par l’Etat à des propriétaires privés ».

 

Or, ce capitalisme de copinage qui permet à une poignée de familles de monopoliser les activités les plus lucratives, grâce à ses relations privilégiées avec le pouvoir, ne pouvait que provoquer d’importantes distorsions dans l’économie tunisienne, dans la mesure où il est plus facile, pour accroître l’accumulation de la richesse, de protéger et d’étendre les oligopoles plutôt que d’innover et d’élargir la base entrepreneuriale du pays, empêchant la mise en place d’une économie équilibrée et solidaire. La Banque mondiale (BM), dans un rapport paru en 2014 sur l’économie tunisienne, soulignait que : « la politique de forte intervention de l’Etat dans l’économie poursuivie depuis l’indépendance a donné naissance à des opportunités de rente et au copinage. Les politiques adoptées, telles que les exonérations fiscales et douanières ou l’accès privilégié au financement, ont provoqué d’importantes distorsions dans l’économie tunisienne ».


Ce récit relatif aux origines et caractéristiques de l’économie de rente tunisienne fait fi du rôle de l’Etat dans la création des infrastructures nécessaires à l’activité économique, et occulte la manière dont les grandes dynasties d’entrepreneurs tunisiens se sont constituées historiquement grâce à la protection, voire aux privilèges accordés par l’Etat. Dans cette perspective, le secteur bancaire tunisien symbolise à lui seul l’ampleur de la collusion entre les milieux politiques et affairistes qui a fortement étranglé la transition économique tunisienne. En effet, et avec 23 banques publiques et privées, la Tunisie devrait disposer d’une offre bancaire stimulée par la concurrence en mesure, d’une part, de gérer l’argent des Tunisiens et, d’autre part, de financer l’économie tunisienne. Or, et onze ans après la révolution, les conditions d’accès au crédit pour les entreprises paraissent toujours dissuasives pour la majorité des entrepreneurs, comme à l’époque de Ben Ali, lorsque la quasi-totalité des établissements bancaires n’acceptaient de financer que les entrepreneurs présentant le plus de garanties, sur des critères davantage informels que formels, comme la proximité du pouvoir ou l’appartenance à un réseau clientéliste. En outre, une réforme en 2016 a davantage accru le caractère rentier du secteur bancaire tunisien, en introduisant le sacro-saint principe monétariste de  l’indépendance de la Banque centrale tunisienne (BCT), qui la restreint à prêter de l’argent à l’Etat. Depuis l’adoption de cette mesure, et lorsque l’Etat s’endette auprès de ses bailleurs internationaux, la BCT prête de l’argent aux banques privées à un certain taux d’intérêt, qu’elles prêtent à leur tour à l’État à un taux supérieur. Il en va que l’essentiel des bénéfices de ces banques, disposant des taux de profit parmi les plus élevés au monde, et se protégeant mutuellement des effets de la concurrence, proviennent exclusivement des intérêts
payés par l’Etat.


2.3 L’échec de la révolution à se traduire en progrès social


La révolution tunisienne s’est construite dans ces termes : entre concentration des richesses sur la côte et protection des rentes par l’Etat, d’un côté, et charité clientéliste pour acheter la paix sociale, de l’autre. Un équilibre intenable qui s’est rompu brutalement le 17 décembre 2010 à Sidi Bouzid, ville située à environ 200 km de la capitale Tunis. Cette rupture a eu lieu lorsque les subalternes de l’arrière-pays, brandissant des revendications plutôt sociales que libertaires, comme la dignité, le droit à l’emploi et la justice sociale, ont poussé, durant la nuit du 13 au 14 janvier 2011, l’alors ‘’homme fort’’ de la Tunisie, Ben Ali, à prendre la fuite et s’exiler en Arabie-Saoudite. A la suite de l’épilogue révolutionnaire, les revendications socio-économiques de la révolution ont été neutralisées dans la louange organisée des « libertés bourgeoises » par l’Assemblée nationale constituante issue des premières élections libres en octobre 2011, ainsi que par le quartet du dialogue national (UGTT, UTICA, l’ordre national des avocats de la Tunisie et la ligue tunisienne des droits de l’homme). Les bourgs de l’arrière-pays bien éloignés du littoral de l’élite libérale à l’origine de la révolution, ont été invités par les nouvelles autorités politiques représentatives à Tunis, persuadées que la dichotomie démocratie/néo-libéralisme économique est en mesure de résoudre les causes socio-économiques de la révolution de 2011, à regagner la province tunisienne, en contrepartie de la promesse que la démocratie émergente avec tout son cortège de bienfaits, assoira aussi bien la croissance économique que la justice sociale.


Cependant, et onze ans après la révolution, la démocratie établie dans le sillage des évènements de 2011 ne semble pas avoir produit ni la perspective de la transformation du modèle économique que la classe politique avait fait miroiter aux « tiers-Etat tunisien » au lendemain de la victoire de la révolution ni l’élaboration d’un horizon d’attente en mesure de répondre aux causes socioéconomiques de la révolution. Tunis semblait surtout se contenter de remédier aux nombreuses crises économiques qui ont secoué le pays, par des mesures destinées à acheter la paix sociale, à l’exemple de l’intégration dans la fonction publique, la distribution des emplois improductifs dans les chantiers de développement et les sociétés de jardinage. Or, l’urgence socio-économique nécessitait l’élaboration d’un nouveau modèle de développement propre aux besoins de la nouvelle Tunisie, en mesure de doter le pays d’un projet d’économie politique de la révolution mais aussi de protéger la jeune démocratie des nombreux risques internes et externes la guettant.


Comme l’avait souligné Ouided Bouchamaoui, ancienne présidente de l’UTICA (L’Union tunisienne de l’industrie, du commerce et de l’artisanat), et co-récipiendaire du prix Nobel de la paix 2015, sans transition économique, la démocratie en Tunisie demeurera fragile. Alors que les équilibres macro-économiques ont été de plus en plus mis à mal, la transition économique paraissait plus que jamais malmenée par la crise sanitaire de la Covid-19 venue frapper de plein fouet l’économie tunisienne, plongeant le pays dans sa pire récession depuis son indépendance en 1956, aggravée par la guerre en Ukraine qui a provoqué d’importantes distorsions dans les chaînes mondiales d’approvisionnements énergétiques et alimentaires.


L’omission du chantier des réformes économiques appelait une initiative politique. Or, et à la veille de la proclamation de l’état d’exception le 25 juillet 2021, rien dans les intrigues qui agitent le microcosme tunisien n’avait de correspondance avec les difficultés que vivent au quotidien les citoyens tunisiens. Sur le plan économique, la situation socio-économique morose a poussé les autorités de Tunis à négocier avec le Fonds monétaire international (FMI) l’octroi d’un nouveau prêt, soit le 4ème en dix ans. D’un point de vue social, le pays connaissait une prolifération des manifestations de contestation sociale, soit pas moins de 8759 manifestations durant l’année 2020, selon l’observatoire social tunisien (OST). Financièrement parlant, la note souveraine de la Tunisie a été dégradée de huit échelons depuis dix ans et l’agence Moody’s l’a évaluée en novembre 2021 à Caa1 avec une perspective négative, tout comme Fitch le 8 juillet 2021, soit le dernier stade avant le défaut de paiement. Par ailleurs, le système de santé tunisien paraissait plus que jamais au bord de l’effondrement, où le taux d’occupation des hôpitaux avait atteint 90 % de ses capacités, alors que les hôpitaux et autres établissements de soins de santé manquaient sérieusement d’oxygène, sachant que la Tunisie enregistrait durant l’été 2021, l’un des pires taux de mortalité officiels du monde. Par plusieurs aspects, le renvoi aux calendes grecques du chantier de la transition économique a fortement encombré l’ordre démocratique issu de la révolution de 2011.

 

II. LE COUP DE FORCE PRÉSIDENTIEL DU 25 JUILLET 2021


Le coup de force présidentiel du 25 juillet 2021 qui a basculé la Tunisie d’une démocratie en crise vers un régime d’exception, a permis au Président de la République de débuter son entreprise césariste de refondation de la République, dans la perspective de rompre avec la IIème République. Dans cette partie, nous explorerons le phénomène de la judiciarisation du politique, ainsi que l’économie politique de Kais Saied.


1. Double phénomène de judiciarisation du politique


La constitution tunisienne de 2014 a longtemps été discutée et vivement critiquée tant les impasses et les crises politiques ont été nombreuses depuis son entrée en vigueur. L’épisode le plus emblématique et le plus récent de la crise de la IIème République est le duel paralysie-chaos ayant caractérisé le mandat du parlement élu en 2019, jusqu’à son gel puis sa dissolution par le président Kais Saied suite à l’état d’exception décrété le 25 juillet 2021. S’ajoutent à cela les nombreuses crises de prérogatives entre les chefs d’État et de gouvernement, notamment celles entre Béji Caïd Essebsi et Youssef Chahed et entre Kais Saied et Hichem Mechichi.


Le système retenu pour la IIème République découlait d’une volonté nationale claire de prévenir le retour de la dérive présidentialiste ayant caractérisé la Ière. Ainsi, le régime conçu par la constitution de 2014 est semi-parlementaire, consacrant une centralité du parlement dans la vie politique et, en parallèle, un président de la république élu au suffrage universel fort d’une légitimité populaire, mais aux prérogatives limitées. Dans un pays où l’unicité de la figure du président de la République a, depuis l’indépendance, monopolisé la vie politique, le parlement polarisé s’est enfoncé dans des règlements de comptes, et certains partis ont refusé de jouer le jeu démocratique. Les partis représentés, pour la plupart inexpérimentés ou ayant connu des décennies d’inactivité sous la répression, manquent de cultures politique et démocratique, en interne comme en externe. La plupart n’ont pas mené de campagnes programmatiques et n’ont pas su éviter les défections, le clientélisme et les scissions internes.


Autour de ce paysage politique paralysé et paralysant s’est construit le narratif de la « décennie noire » ou « décennie de la destruction » qui a rapidement imputé l’échec de la transition tunisienne à l’architecture du pouvoir, tout particulièrement son parlement fort mais dysfonctionnel et le bicéphalisme de son exécutif. Une récente étude du Arab Barometer indique que parmi les dix pays arabes interrogés, la Tunisie est classée deuxième quant aux citoyens qui priorisent l’efficacité de la gouvernance sur la forme que celle-ci peut prendre. Les Tunisiens affichent également une nette préférence pour un « dirigeant fort ». Si ce phénomène n’est en rien nouveau, l’étude montre un accroissement de la tolérance des citoyens arabes pour une forme d’« autoritarisme éclairé » après les années qui ont suivi le printemps arabe. Néanmoins, la judiciarisation de questions avant tout socioéconomiques ayant caractérisé la IIème République se poursuit dans la présente transition vers la IIIème. Cette judiciarisation désigne à la fois le déplacement de plus en plus fréquent du politique vers l’arène légale, la multiplication des recours à l’arbitrage judiciaire par les acteurs sociaux et les sollicitations croissantes dont la loi fait l’objet pour traiter de problèmes-clefs de la société. En Tunisie, les juristes et les technicités juridiques dominent le débat politique depuis des années. « Bouée de sauvetage pour temps déprimé », le recours excessif à la loi dans la Tunisie post-2011 est symptomatique d’une transition démocratique qui peine à répondre aux exigences de justice sociale et à refonder son modèle de développement, et qui érige donc des lois pour faire taire des demandes sociales pressantes et garantir la paix sociale, sans qu’il y ait une volonté politique de concrétiser ces lois. L’exemple le plus emblématique de la décennie postrévolutionnaire est sûrement la constitution du 27 janvier 2014 qui a consacré un ensemble ambitieux d’avancées en matière de droits et libertés, justice sociale et égalité régionale sans que la classe dirigeante ne s’en donne les moyens les plus élémentaires, comme la formation d’une cour  constitutionnelle ou la réforme d’un ensemble de lois répressives héritées de la dictature.


Dans nombre de démocraties établies, les magistrats sont les gardiens des droits et libertés fondamentales dans le paradigme de l’état de droit. Cette judiciarisation des luttes sociales, encouragée par les organisations internationales et non gouvernementales qui n’hésitent plus à saisir les tribunaux, locaux et internationaux, pour les violations des droits fondamentaux, se traduit difficilement dans le contexte post-autoritariste tunisien où la réforme du judiciaire est défaillante et les magistrats sont majoritairement conservateurs. Héritage de décennies de dictature, la formation des juges demeure axée sur la technicité juridique et l’intériorisation de la primauté des droits de l’homme demeure lacunaire. Bien que les constitutions de 1959 et 2014 énoncent clairement la primauté des traités internationaux, les magistrats s’obstinent à appliquer les lois nationales, aux penchées liberticides et souvent en non-adéquation avec lesdits traités et la constitution ellemême. De ce fait, le double phénomène de juridisation et de judiciarisation du politique opère unedélégation des fonctions des élus vers les sphères légale et judiciaire, réduisant le politique à une application a posteriori de textes de loi.

 

Ceci est particulièrement visible avec l’approche du président Kais Saied qui, de toutes les urgences auxquelles la Tunisie doit faire face, a décidé d’embarquer dans un long processus de référendum constitutionnel. L’unique lettre adressée au peuple en faveur du « Oui » dénote une vision salvatrice de la constitution-projet et plus largement, de la loi qui serait capable de « prévenir la déchéance de l’État », de « réaliser les objectifs de la révolution » et de « remédier au désespoir, au terrorisme, à la faim, à l’injustice et à la douleur ». Cette logique se traduit également dans le choix du président Saied d’une cour constitutionnelle composée uniquement de juges ainsi que dans la promulgation d’un décret présidentiel pour une guerre contre le monopole et la spéculation sur les denrées alimentaires alors qu’une loi existait déjà, mais n’était que peu appliquée. D’ailleurs, la volonté de tout constitutionnaliser, y compris le volet économique, était claire dans les déclarations de la commission consultative désignée par Kais Saied pour proposer un projet de constitution, commission menée par trois juristes.

 

2. L’économie politique de Kais Saied


Les décrets-lois du 20 mars 2022 relatifs à la réconciliation pénale ainsi qu’aux entreprises communautaires permettent de comprendre la conception de Kais Saied quant à l’économie politique de la Tunisie. Les textes en question agencent ce que l’artisan de la IIIème République appelle la réconciliation pénale, avec la création d’entreprises citoyennes (ahliyya) au niveau des délégations. L’objectif affiché par le décret-loi du 20 mars 2022 est d’amnistier les hommes d’affaires impliqués dans des malversations financières dans la perspective de récupérer l’argent volé à l’État, aux collectivités locales, aux entreprises, établissements et instances publics, en vue de l’investir dans le développement local et régional. Les dossiers des personnes privées et morales concernées par les affaires de corruption seront examinés par une entité présidentielle dont le chef de l’Etat disposera d’un pouvoir absolu dans la nomination et la révocation des membres. Intitulée la commission nationale de la réconciliation pénale, elle sera compétente pour déterminer les montants restitués en contrepartie de l’octroi de l’amnistie. L’argent ainsi collecté financera les projets de développement en fonction des spécificités des régions et des besoins des populations ainsi que des priorités nationales et locales. Les délégations bénéficiant de projets de développement et préalablement classées selon leur niveau de pauvreté se verront attribuer 80 % de ces fonds. Les 20 % restants seront affectés aux collectivités locales afin d’être utilisés sous forme d’apport en capital aux entreprises citoyennes et aux sociétés d’investissement et de commerce.


Dans le même ordre d’idées, un autre décret-loi relatif aux entreprises citoyennes a été élaboré afin de compléter la loi sur la réconciliation pénale, tout en contribuant au développement régional selon la volonté collective des populations locales et en adéquation avec les besoins et les particularités de leur région. Bien que les entreprises citoyennes doivent en principe bénéficier d’une partie des fonds issus de la réconciliation par le biais de la participation des collectivités locales à leur capital, leur dépendance vis-à-vis du pouvoir administratif risquerait de porter atteinte à leur autonomie administrative et financière. En effet, les entreprises citoyennes locales sont placées sous la tutelle du gouverneur, dont elles doivent obligatoirement transmettre leurs bilans financiers et budgets prévisionnels. S’agissant des entreprises citoyennes régionales, celle-ci doivent transmettre au ministre de l’Économie pour approbation toutes les informations relatives à leurs statuts réglementaires et financiers.


En plus de ces limites institutionnelles, s’ajoutent deux difficultés logiques renvoyant à la manière dont le chef de l’Etat se positionne par rapport aux questions socio-économiques de la Tunisie. En premier lieu, le discours souverainiste de Kaïs Saïed, appelant à substituer le produit intérieur brut (PIB) par le « bonheur intérieur brut », tout en établissant une relation équilibrée avec les principaux bailleurs de fonds de Tunis, entre en contradiction avec la politique économique de son gouvernement qui consiste à négocier un nouveau prêt avec le FMI, en contrepartie d’un plan de programme de réforme économique difficile comprenant principalement la réduction de la masse salariale du secteur public, la levée des subventions sur les hydrocarbures et les produits de première nécessité, l’allégement de la fiscalité pour des sociétés privées, ainsi que la restructuration et la privatisation des entreprises publiques. En second lieu, la pensée et la pratique de Kaïs Saïed consistent à réduire la crise tunisienne à celle de son régime politique, cristallisée en la Constitution de 2014 à laquelle le Président de la République impute la responsabilité de tous les maux de la Tunisie. Or, les problèmes de la Tunisie, principalement socio-économiques, sont plus structurelles, et l’adoption d’une nouvelle Constitution ne saura résoudre la crise multidimensionnelle qui sévit dans le pays.

 

III. UN ÉTAT DE DROIT AFFAIBLI SOUS LA NOUVELLE CONSTITUTION


Le soir du 30 juin 2022, quelques heures avant la fin de l’échéance auto-imposée par le président de la République, le projet de constitution qui fera objet de vote référendaire le 25 juillet 2022 a été publié au Journal officiel de la République tunisienne (JORT) par le décret présidentiel n°2022-578. C’est la première fois que l’ensemble du corps social découvre son contenu, aboutissement d’un processus pour le moins controversé et opaque. Cette constitution-projet signe le grand retour du présidentialisme de la constitution de 1959 et de la question du rôle de l’islam dans la cité.


1. Les questions de forme


Dans un préambule aux envolées lyriques, le président Kais Saied opère une réinterprétation partiale et partielle de l’histoire contemporaine du pays. « Nous le peuple tunisien », clin d’oeil au slogan de campagne du président « Le peuple veut », remplace l’habituel « Nous les représentants du peuple tunisien », formule retenue dans les constitutions de 1959 et de 2014. Le préambule mentionne la consultation nationale électronique comme légitimation du processus de référendum constitutionnel, avec ses 534 915 participants, à peine 10 % du corps électoral, et bien que la majorité se soit prononcée pour un amendement constitutionnel. Dans sa première version, la constitution-projet contenait des fautes linguistiques et des répétitions, dont certaines ont été corrigées par décret présidentiel. Certaines incohérences y demeurent néanmoins, dont la plus remarquable est peut-être l’incohérence entre l’obligation pour tous les représentants du peuple d’être responsables politiquement, énoncée dans le préambule, et un président de la république qui ne l’est devant aucune institution.


Tout d’abord, l’article cinq30 se substitue à l’article premier de la constitution de 2014, lui-même repris à l’identique de celle de 1959. Ce dernier, doublé du second article, disposent que la Tunisie est un État civil, dont la religion est l’islam et la langue, l’arabe. Dans la formulation arabe (officielle) du texte, l’islam a pu être interprété comme étant la religion du peuple ou celle de l’État, traduction de l’habilité juridique du président Bourguiba et du consensus délicat ayant caractérisé les processus postindépendance et postrévolutionnaire, entre les branches sécularistes et conservatrices de l’élite politique. Dans la nouvelle formulation de la constitution-projet de Kais Saied, toute ambiguïté disparaît, ouvrant la porte à ce que beaucoup considèrent comme un État religieux. L’État se voit ainsi dans l’obligation d’oeuvrer à réaliser les objectifs de l’islam, pouvant être confondus avec ceux de la charia islamique. Si ces objectifs étaient présents dans la constitution de 2014, ce n’était que dans son préambule. Selon plusieurs juristes, dont Salsabil Klibi et Slim Laghmani, la formulation de l’article cinq risque de soumettre la législation, la juridiction et la gouvernance à la condition d’islamité, surtout en prenant en considération la composition potentiellement conservatrice de la cour constitutionnelle.


2. Les questions de fond


L’autre changement de cap conséquent se fait au niveau de l’organisation et l’équilibre des pouvoirs. Tout d’abord, les « pouvoirs » disparaissent au profit des « fonctions ». Officiellement, cela correspond à la vision de Saied considérant que tous les représentants élus sont des fonctionnaires auprès du peuple. Néanmoins, la constitution consacre en réalité un régime présidentialiste au sein duquel toutes les fonctions sont sous la coupe du seul pouvoir véritable, celui du président de la République dans un retour surprenant à la constitution de 1959. Ainsi, la logique de séparation des pouvoirs et de freins et contrepoids à la concentration de prérogatives théorisée, notamment, par Locke et Montesquieu, est estropiée au profit d’un président aux pouvoirs étendus, mais dont la responsabilité n’est engagée ni politiquement ni pénalement. L’article 139 dispose ainsi que celui-ci ne peut être questionné dans la conduite de ses fonctions. Notant que Kais Saied, alors encore professeur de droit constitutionnel, avait milité dans les premières années de la révolution afin que la Tunisie se dote d’une assemblée constituante et d’une nouvelle constitution, donc pour une rupture avec celle de 1959.


Le pouvoir législatif sera désormais bicaméral, composé d’un Parlement et d’une Assemblée nationale des régions et des districts que le président de la République peut dissoudre si une motion de censure contre son gouvernement est présentée une deuxième fois lors d’un mandat. Le mandat des élus est révocable, mais seulement pour les parlementaires. La modification tardive du texte du projet de la constitution a précisé l’élection des élus directement, après de vives critiques quant au risque d’introduction au projet de la démocratie par la base de Kais Saied. De plus, afin de voter ladite motion de censure contre le gouvernement, il faudrait que les deux chambres décident d’introduire une motion de censure, et que cette motion soit votée par les deux tiers des deux chambres. Cette condition est en fait purement nominative car quasi-impossible à réaliser. Autre point important, le parlement n’a plus le pouvoir d’introduire une motion pour démettre le président de la République pour faute grave. Aucun moyen donc ni de contrôler ni de sanctionner celui qui est en charge de déterminer les politiques générales de l’État et de les faire appliquer à travers un exécutif dont il a le contrôle absolu.


Pour ce qui est de la cour constitutionnelle, ses membres sont nommés par le président de la République parmi les plus anciens magistrats de chaque circonscription judiciaire uniquement. Au contraire de la constitution de 2014, les avocats et professeurs de droit sont exclus de cette cour. Nombreux sont ceux qui ont lié ce choix au fait que les doyens des facultés de droit ont refusé de se plier à la volonté du président de faire partie de l’une des commissions de préparation du projet de la constitution. La composition de cette cour constitutionnelle pose problème pour plusieurs raisons, dont l’abandon du critère de la compétence pour celui de l’ancienneté, la formation conservatrice des juges tunisiens qui, en majorité, privilégient rarement l’approche humaniste, ainsi que la liberté donnée au président de la République de choisir seul parmi les plus anciens juges. De plus, la nomination de juges dont la retraite est proche ne permet pas de créer une jurisprudence stable. Plus grave encore, cette cour est dépouillée de sa principale prérogative, celle de contrôler le véritable détenteur de pouvoirs, à savoir le président de la République, par la prérogative de statuer sur la motion parlementaire de démission du président, désormais inexistante. De plus, l’article 90 du projet de constitution, remplaçant le fameux article 80, consacre l’état d’exception sans la supervision de la cour au-delà de 30 jours, revenant ainsi à l’option de 1959. Cet état d’exception permet de retarder l’organisation des élections et de s’installer dans un état d’exception permanent, comme c’est le cas depuis le 25 juillet 2021.


Quant aux magistrats, ils sont également nommés par le président de la République parmi des suggestions du Conseil supérieur de la magistrature (CSP), lui-même morcelé entre trois corps, le judiciaire, l’administratif et le financier. Selon le juriste Salsabil Klibi, cela implique la perte des garanties de l’indépendance du judiciaire, bien que ce soit le corps le plus à risque  d’interventions de la part de l’exécutif dans les dossiers en cours d’examen.


CONCLUSION


La révolution tunisienne de 2011 a engendré des changements irréversibles dans la conception du pouvoir politique, de la société et des libertés individuelles. Focalisée sur le chantier des réformes démocratiques, elle méritait d’être davantage recentrée sur ses dimensions socio-économiques, exacerbant le besoin d’une transition économique en mesure d’accompagner la transition démocratique. L’échec de la révolution à traduire la démocratie en progrès social, a provoqué une défiance envers les institutions de représentation démocratique de la IIème République, créant les conditions d’une crise politique qui éclata au grand jour durant les élections de l’automne 2019, pour ensuite atteindre son paroxysme avec la proclamation de l’état d’exception durant l’été 2021.


Dans cette perspective, le coup de force présidentiel du dimanche 25 juillet 2021 qui a fait basculer la Tunisie d’une démocratie en crise à un régime d’exception, a sanctionné l’échec des institutions de la IIème République à faire face aux périls qui menacent la stabilité de l’Etat et la paix sociale, voire sa responsabilité dans la crise multidimensionnelle tunisienne, où s’est abîmé l’espoir que les Tunisiens avaient placé en la révolution et la démocratie. Cependant, le césarisme présidentiel emprunté par un Président déterminé coûte que coûte, à établir une nouvelle République, voire une IIIème République correspondant exclusivement à sa conception du pouvoir, ne parait pas prendre en compte les véritables demandes populaires qui sont davantage socio-économiques qu’institutionnelles. Dans un pays où la démocratie n’est pas considérée comme un bien commun, mais comme utilité, le salut du pays viendra de la préservation de l’ordre démocratique issu de la révolution de 2011, tout en créantles infrastructures nécessaires permettant l’émergence de la transition économique.

 

C’est pourquoi nous recommandons :


• l’harmonisation de l’arsenal légal tunisien : la Tunisie post-2011 a besoin de se défaire d’un légalisme excessif dans la gestion des affaires publiques consistant principalement en la promulgation de lois pour répondre à des demandes sociales pressantes. Ainsi, il faudrait commencer par appliquer les textes existants qui consacrent l’État de droit et la justice sociale sur lesquels se sont bâties les revendications de la révolution, mais également réformer les lois liberticides héritées de décennies de régimes non-démocratiques, un chantier largement omis par les parlements de 2014 et de 2019;


• le rétablissement de la culture du dialogue : le processus politique ayant été enclenché le 25 juillet 2021 par le président Kais Saied a constitué une rupture dans une culture du dialogue durement consolidée post-2011 et couronnée par un prix Nobel de la paix en 2015. Le texte de la constitution a par ailleurs consacré un déséquilibre des pouvoirs au profit du président de la République et affaibli l’indépendance du judiciaire, ainsi que le pouvoir de contrôle du corps législatif et de la cour constitutionnelle. Cette disposition nouvelle, ainsi que le manque d’inclusivité et de transparence de l’état d’exception, ont vivement été critiqués par la plupart des partis politiques, un grand nombre d’organisations de la société civile et une partie du peuple Tunisien. La discussion autour de la future loi électorale devrait constituer une opportunité pour renouer avec cette culture du dialogue et du consensus afin de remobiliser l’opinion publique et asseoir le principe même de participation citoyenne ;


• la réforme de la décentralisation : la réforme de la décentralisation brille par son caractère novateur et libéral. Elle a mis fin à plusieurs siècles de centralisation poussée du territoire tout en actant la transition démocratique en cours. En ce sens, il s’agit d’une réforme majeure pour le pays. En effet, le processus de décentralisation tunisien s’est singulièrement accéléré depuis 2016, une interprétation a été diffusée et s’est désormais consolidée : « l’État se désengage », il délègue certaines de ses compétences aux collectivités, il se déleste, il se décharge de certaines attributions pour se recentrer sur ses compétences régaliennes. Or, l’expérience tunisienne postrévolutionnaire en matière de décentralisation nous apprend que la démocratisation du pouvoir local n’enclenche pas automatiquement le cercle vertueux qui conduit au développement économique des régions marginalisées, permettant aux citoyens d’accéder à des services publics territoriaux de qualité. Ce constat est de surcroit renforcé par le délaissement du processus administratif de la décentralisation lors de la mise en oeuvre de cette dernière, sachant que l’efficacité des administrations infranationales est conditionnée par leur accès aux ressources financières et au personnel nécessaires pour s’acquitter des prestations qui leur sont conférées. Toute la délicatesse de la question est de retrouver l’équilibre dans le régime de la décentralisation, autour de nouveaux compromis, entre la vocation libérale prônée en 2016 qui consiste à démocratiser le pouvoir local, et le caractère technocratique de l’Etat redistributeur comme garant du développement économique et social, dont dépendent encore beaucoup de citoyens tunisiens, dans la perspective d’accroître la capacité des collectivités territoriales à élaborer des politiques publiques convergeant avec les besoins des citoyens. Le renforcement de la sécurité financière des collectivités locales est indispensable pour la réalisation de l’autonomie administrative ;


• l’accélération de la transition économique : le chantier de la transition économique qui consiste à transformer le modèle économique du pays en vue de remédier aux défaillances structurelles du modèle de développement antérieur, est indispensable pour renforcer la résilience de la démocratie en Tunisie, face aux nombreuses crises la guettant. Il incombe aux décideurs politiques et économiques à Tunis de doter la Tunisie d’un projet d’économie politique de la révolution, voire d’un nouveau modèle de développement propre aux besoins de la nouvelle Tunisie, articulé autour de la diversification de l’économie, l’éradication des disparités territoriales entre la Tunisie littorale et la Tunisie de l’intérieur, ainsi que la séparation de l’affairisme de la politique, qui peut prendre la forme d’une loi de réconciliation économique et financière.